Raison n°5 pour ne pas prendre de psychédéliques

22/04/2024 12:42 - Commentaire(s) - Par Olivier Caeymaex

C'est illégal.

Flash back. 


L’immédiat après-guerre fut une période incroyablement riche, socialement, politiquement, culturellement et scientifiquement parlant. Saviez-vous que le mot “psychédélique” fut inventé durant ces années-là? Il y eu la découverte (fortuite) des effets du LSD par le chimiste suisse Albert Hofmann en 1943. Il y eu le récit, en 1954, par Aldous Huxley de son aventure sous mescaline. Il y eu l’émergence de la psychologie humaniste, portées par les précurseurs qui se rassemblaient à Palo Alto et à Esalen et qui n’hésitaient pas à faire des expériences de pointe. Il y eu aussi les premières études cliniques, notamment le Spring Grove Experiment, où apparaissait déjà le potentiel thérapeutique des psychédéliques.


Qu’à cela ne tienne. Le mouvement d’interdiction des psychédéliques est entamé par Nixon en 1966, puis entériné par les Nations Unies en 1971. Comment expliquer un tel décalage?

Les années 60 sont des années agitées où émerge un puissant mouvement de contre-culture. La contestation est généralisée. Aux Etats-Unis, on ne compte plus les mouvements de rue s’opposant à la Guerre du Vietnam. La CIA est empêtrée dans son crapuleux projet MK-Ultra, qui consistait à tester le potentiel du LSD comme drogue permettant d’exercer (à leur insu) un contrôle mental et moral sur des individus, amis ou ennemis. Les militaires montent sur le Capitole pour réclamer le retrait américain du Vietnam. Ce magma contestataire haut en couleurs est porté par toute une génération (aux Etats-Unis, la beat generation, et en France les soixante-huitards). La violence des Black Panthers y cotoie l’utopie criarde des adeptes du flower power. Le petit monde psychédélique est porté par de nombreux artistes (Kerouac!) et chanteurs (Jim Morrison!), qui adoptent et appuient très largement les thèses de l‘opposition politique.

Pour un président aussi réactionnaire et sous pression que Nixon, on imagine bien que les psychédéliques, c’est la goutte qui fait déborder le vase. L’explication est trop pratique que pour ne pas s’en servir: les “drogues” sont un fléau qui explique le déclin moral de la jeunesse et la contestation massive dont toute une génération se fait l’écho. Timothy Leary (un chantre du pouvoir transformateur des psychédéliques) est proclamé “ennemi public numéro 1” aux Etats-Unis. La page de la Guerre du Vietnam se tourne, pour laisser la place à un nouveau front: celui de la War on Drugs.

En 1971, à quelques rares exceptions près, la recherche clinique est à l’arrêt. Il faudra attendre 2005 pour qu’elle reprenne, dans quelques rares pays et uniquement sur des problématiques pour lesquelles la médecine officielle jette l’éponge (notamment les soins compassionnels, les troubles névrotiques rédécivistes et les addictions chroniques, rebelles à tout traitement). Les résultats de ces études arrivent aux mêmes conclusions que les études réalisées entre 1950 et 1971: le potentiel thérapeutique est bien réel, les effets secondaires sont plus ou moins absents et les accidents sont rares.

La loi tarde cependant à changer. Les lois tardent toujours à changer. A qui la faute? Les explications sont forcément multi-factorielles. Les démocraties à l’occidentale sont inféodées à l’industrie, notamment pharmaceutique, qui n’a guère intérêt à ce que l’on cesse d’interdire des feuilles, des écorces et du jus de grenouille. Le législateur est soumis au diktat du risque zéro, et on voit mal qui pourrait prendre quelque initiative que ce soit sur un tel sujet. Comme dans les années 60, nous sommes dans un climat politique où le potentiel contestataire est énorme. Il ne faudrait pas grand chose pour que le chaudron se renverse. Et enfin, les psychédéliques ouvrent une perspective où s’impose l’idée que nous ne pouvons ni tout savoir, ni tout maitriser, et que nous appartenons à quelque chose qui nous dépasse. Dans le contexte rationaliste et objectiviste où nous baignons, c’est pousser le bouchon un peu loin…

Bref, la loi n’est pas prête de changer. Elle n’autorisera rien. Au mieux, elle actera a posteriori une évidence que des précurseurs auront contribué à installer.
A moins de vous taper un trip au Brésil ou au Pérou, ou à moins de participer à une étude clinique réservée à des patients pour qui la médecine traditionnelle avoue son impuissance, à moins d'aller passer un WE en Hollande ou au Portugal, vous n’avez donc aucune possibilité pour faire une expérience psychédélique sans vous mettre hors-la-loi.

En résumé: vous avez raison, c’est interdit, n’y allez pas.
Olivier Caeymaex

Olivier Caeymaex