Vous allez vomir.
Or personne n’aime vomir. C’est indigne. C'est le signe d’une ébriété, l’aveu d’une exagération, un flagrant délit de perte de contrôle. Vomir, c’est revenir en arrière, c'est admettre que l'on a été dépassé, c’est capituler face à ce que l'on recrache, c'est échouer à absorber ou à intégrer quelque chose. Le vomi, c’est ce truc hideux, visqueux et acide dont l'odeur écoeurante, au fond de la bassine, nous rappelle que nous avons eu affaire à plus fort que nous.
Quant à vomir en public, c’est pire encore. C’est ajouter la honte à l’incapacité.
Et pourtant, la purge est riche de sens dans bon nombre de traditions et de rites. Elle fut également fréquemment pratiquée lors de pratiques hygiénistes telles que les diètes. Il fut un temps où faire place en soi, physiquement parlant, était une pratique courante et récurrente.
Pour celui qui se lance dans un travail utilisant des psychotropes, vomir n'est pourtant pas un passage obligatoire. Il n'y a guère que l’ayahuasca pour lequel le vomissement fait explicitement partie intégrante de l’expérience. Lors d’une toma (nom donné aux cérémonies ayahuasca en Amérique du Sud), ça pète, ça rote, ça rit, ça pleure, ça crie parfois et ça vomit aussi. Passé le premier “oups”, le processus suit son cours et il n'y a plus personne pour s’en formaliser.
Peut-être qu’accepter de vomir, avec le ressenti d’abaissement qui l’accompagne, contribue à ce renoncement à (une certaine image de) soi-même qui est le propre des expériences enthéogènes. Peut-être qu’accepter que le vomissement fasse partie de l’expérience, c’est aussi accepter de s’en remettre au corps, et s’habituer à l’idée que c’est là que le travail va se faire, dans les tripes. C'est admettre que les paroles ne suffiront peut-être pas et que c’est quelque chose de plus radical, de plus archaïque, de plus profond que nous allons devoir extirper.
En résumé
Vomir, surtout en public, c’est un avilissement. C’est dégradant. En accepter l’idée implique un certain renoncement à l’image de soi. Lorsque l’on entame cette réflexion, c’est peut-être le travail de la substance qui commence déjà. Pour ceux qui travaillent avec l’ayahuasca en particulier, le vomissement est un acte cathartique, dont la difficulté est souvent proportionnelle à l’importance de ce qui est “rendu”.